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Chronique de mon agonie
par Jean BOISARD,
professeur des Universités

Partie 1

POURQUOI S'ENGAGER DANS LES HARKIS ?

Grâce à une certaine filière, je me suis retrouvé à Vialar ( aux confins des sud-algérois et sud-oranais), engagé comme garde de deuxième classe dans le Groupe Mobile de Sécurité (GMS) 87. Marrant car les GMS, ex-GMPR (Groupe Mobile de Protection Rurale), dépendaient du Ministère de l'Intérieur : j'étais devenu un "collègue" de mon père-flic (son rêve : il voulait que je devienne officier de police, mais j'avais pris les choses par le gros bout de la lorgnette).

Aux "Barricades" succéda le "Putsch" du 21 avril 1961.

Dès le 19 avril au soir, je me trouve dans l'appartement de la rue Michelet (celui des "Barricades"), situé au-dessus du "Coq Hardi". Je passe sur les plans échafaudés. Ma mission : trouver un véhicule et piloter dans Alger, au petit matin du 21, des officiers afin de leur indiquer certains points stratégiques : le Commissariat Central, l'immeuble de la Radio/ Télévision rue Hoche, et coetera…

Dans la nuit du 20 au 21, je remonte à pied vers le domicile de mes parents. Au niveau bas des marches du Gouvernement Général, vers une heure du matin, un monstre surgit, colle le canon de son arme sur mon ventre et dit à voix basse : "Hait !". Merci, Messieurs JUNG et BOUDJADI, grâce à qui j'ai appris quelques mots d'allemand. "Kein Problem ! Ich bin ein Kamarad ! ". Et de lui expliquer, dans mon sabir teuton, que je vais chercher une voiture pour conduire, dans Alger, trois officiers. II me répond qu'il comprend, mais me demande de passer par la place. Là bivouaquaient deux ou trois cents hommes. Peut" être plus.

Le Deuxième Etranger Parachutiste, venant d'Oranie, se préparait à investir Alger.

"Yeux bleus" (le surnom de mon père quand il était responsable de la brigade des mœurs dans la Casbah) me donne les clés de son "Aronde". Comment pouvait-il faire autrement ? Tandis qu'il entretenait mon Manurhin 7.65, ma mère s'occupait des chargeurs de la MAT 49. Quand je vous disais que mes parents étaient formidables. Que Dieu les ait en Sa Sainte Grâce.

J'ai accompli ma mission, apporté mon concours aux "putschistes" (et même un peu plus, avec "Jeune Nation"). Nous avons rêvé six jours. L'utopiste CHALLE n'a pas su conduire son affaire. Le garde de deuxième classe que je fus a droit d'exprimer ses critiques, à soixante ans sonnés. Bien évidemment, je n'ai rien à reprocher à ZELLER ou SALAN. Surtout pas à Edmond JOUHAUD.

Le 2e REP est dissous.

Ses hommes furent emmenés au camp de Zéralda. Ils chantaient, ils hurlaient, en chemin, la chanson de PIAF :

"Non, rien de rien ! Non, je ne regrette rien ! ".

Dans les jours qui suivirent, nombre de légionnaires désertèrent. Je me trouvais dans la ferme des CHEVIET qui jouxtait la forêt de Zéralda. II me faut rendre hommage au père de Jacques. II les a nourris, hébergés, leur a fourni des habits civils et de l'argent.

Fin juin. Je loupe mon baccalauréat, ce qui ne surprendra personne. Papa, qui était au "Central", m'informe que cela commence à barder pour mon matricule. Nous prenons une sage décision : il serait bon que j'aille respirer l'air ravigotant de la Bretagne.

C'est là où j'ai rencontré De GAULLE ! ! !

II faisait la tournée des popotes campagnardes, et eut la mauvaise idée de s'arrêter (trois minutes prévues) dans le village de ma grand-mère paternelle pour saluer le maire de la commune.

Assis sur un talus avec mes copains bretons, nous voyons le cortège de DS (une bonne quinzaine) arriver, puis stopper au beau milieu du bourg. De la troisième voiture sort le De GAULLE. Au moment où le maire de Pleslin s'approche, je hurle, à m'en faire péter les poumons, un "Vive PÉTAIN ! ! !". Alors là, toutes les portières des véhicules s'ouvrent. Les accompagnateurs sortent leurs flingues ; les flashs des journalistes crépitent... Et De GAULLE repart vite fait. Bien sûr, vous croyez à un tchalef : consultez les " OuestFrance" d'août 1961.

En Bretagne, je n'avais point besoin de me refaire une virginité puisque puceau (mais la maréchaussée du canton recherchait le crieur). Donc je regagne Alger. Chez mes parents, une lettre m'attend. Sursis pour études résilié et ordre de marche pour un obscur régiment d'Infanterie à Strasbourg. Le bon garçon que j'étais se réinscrit à Bugeaud pour redoubler Math' Elem'. Mais, rapidement, disparais du paysage algérois.

Grâce à une certaine filière, je me suis retrouvé à Vialar ( aux confins des sud-algérois et sud-oranais), engagé comme garde de deuxième classe dans le Groupe Mobile de Sécurité (GMS) 87. Marrant car les GMS, ex-GMPR (Groupe Mobile de Protection Rurale), dépendaient du Ministère de l'Intérieur : j'étais devenu un "collègue" de mon père-flic (son rêve : il voulait que je devienne officier de police, mais j'avais pris les choses par le gros bout de la lorgnette).

Je me présente au Commandant Maurice BONNEMAYRE. Entretien bref mais courtois. En sortant de son bureau, je tombe sur un homme qui arborait une grande croix. II était aumônier. À ma demande, il accepte de me confesser et de s'entretenir avec moi. Je lui ai dit mon angoisse d'avoir à tuer un homme. Thématique de sa réponse :

"Nous vivons une situation exceptionnelle, une situation de guerre. Si tu hésites à tirer, dis-toi que le fel' d'en face n'aura aucun scrupule à t'abattre. Le Seigneur te comprend".

II m'a donné son absolution et sa bénédiction. En douce, j'ai été piquer de la mie de pain au mess (que j'avais repéré), et j'ai communié, vaille que vaille.

Le soir de mon arrivée, je suis de garde à l'une des quatre tourelles du fortin, de minuit à trois heures. Au mess, mes nouveaux camarades avaient décidé de célébrer ma venue. À la boisson (parce qu'il n'y avait rien à manger, paraît-il) : bière et Martini rouge. J'ai pris une biture ! À partir de minuit, heure de mon tour de garde, j'ai allumé le puissant projecteur, balayé le djebel... et vomi. Cette séquence a duré jusqu'à la relève. Bienvenue au Club !

Ce GMS 87 possédait une caractéristique : c'était une troupe à cheval. La Police Montée des Portes du Désert, en quelque sorte. Vous prenez le Canada ; vous enlevez neige et stetsons ; vous remplacez les deux par des cailloux et des passe-montagnes. Et vous aurez tout pigé.

Sauf que les bourrins arabes sont cinglés, à la différence des chevaux canadiens. Ils n'aboient pas mais ils ruent. C'est ainsi que je me suis retrouvé, en février 1962, dans ce qui restait de l'hôpital de Teniet-el-Haad. Mon cheval avait fait mine de dépasser celui qui le précédait. Quelle injure ! En une fraction de seconde, j'ai vu l’œil jaune et torve du bourrin viser mon tibia. Trois jours à Teniet car il restait trois appelés du contingent, trois ampoules de morphine, des lattes et une bande Velpeau. De retour au fortin, durant trois semaines, un géant (qui ne parlait pas un mot de français) m'a porté sur son dos : lit, toilettes, mess, lit, toilettes, mess, dodo. II me souvient de l'une de ses particularités : il décapsulait les bouteilles de bière avec ses dents d'une exceptionnelle blancheur. Je n'ai jamais su son nom, ni, par la suite, son destin.

Si j'ai choisi les Harkis, dont je n'avais qu'entendu parler puisque résidant à Alger, c'était pour être aux côtés de ces Français musulmans qui combattaient pour leur "Idée" de la France. D'accord, voilà qui participait d'un certain

mysticisme ou romantisme. Mais je n'ai pas été le seul.

La démarche de Jean et Bernard RUBAT du MÉRAC (que je n'ai pas connus au GMS 87) procédait-elle d'une approche différente ? Surtout avec leur patronyme à charnière ?

Peu avant la mi-juin, le Commandant BONNEMAYRE ordonne le repli du Groupe sur Arzew. Plus de la moitié des Harkis décide de rester sur place. Leur sort horrible est rapporté par Bernard MOINET dans un de ses livres. II ne faut jamais croire aux promesses, surtout lorsque les accords sont scellés à l'eau minérale. Les autres sont répartis dans tous les véhicules militaires et civils disponibles. Départ par convois de cinq à six engins, espacés d'un quart d'heure. Embuscades ... Nous serons moins de trente lors de notre jonction avec le GMS 80 du Capitaine René MARCHADIER. Ce groupe, lui-même, ne comptait plus qu'une vingtaine d'hommes.

L'agonie oranaise a commencé à Vialar. Tandis que je rédige ces lignes, je prends conscience que je narre la chronique de ma propre agonie : elle a également débuté là-bas et me semble fort longue.

MARCHADIER était efficacement secondé par le Lieutenant Jaki MERCIER qui m'avait pris en estime.

Fin juin, nous apprenons que le Groupe reconstitué doit faire mouvement vers Bou-Sfer. J'allais, enfin, voir Oran, cette rivale d'Alger !

Sur le boulevard maritime, grosse déception, droite, les cuves de carburants brûlaient.

À gauche, les Gendarmes Mobiles et mes amis de l'OAS jouaient à la guerre, à l'aide de 12.7 et de lance-roquettes

Devant, un barrage de contrôle de l'ALN. Bizarrement déguisé en pseudo-para de BIGEARD, le chef réclame :

"Vos papiers !". Réponse de Jaki MERCIER qui pilotait la jeep: "Merde ! La guerre est finie". J'étais à son côté, avec mon PM approvisionné, face à un pieu-pieu fraîchement émoulu des troupes de réserve de l'ALN au Maroc ; il avait un PM, lui aussi, mais à chargeur courbe. Bref ! Ils nous laissent passer et nous arrivons dans un Bou-Sfer déserté.

J'y ai connu cinq jours de détente, deux jours d'horreur, deux autres jours dont je n'ai pas gardé le moindre souvenir, deux heures d'angoisse avec une conclusion heureuse. Le dernier jour, 11 juillet 1962, j'ai tourné délibérément le dos au passé. Du moins le croyais-je ..

AVERTISSEMENT AUX FUTURS LECTEURS

"A cet instant subtil au l'homme se retourne sur sa vie, Sisyphe, revenant vers son rocher, contemple cette suite d'actions sans lien qui devient son destin, créé par lui, uni sous le regard de sa mémoire et bientôt scellé par sa mort".

Je venais de naître quand Albert CAMUS a écrit cette phrase dans le chapitre conclusif du "Mythe de Sisyphe", un essai sur l'absurde. Entre nous, connaissez-vous d'autres philosophes, dans la seconde moitié du XXème siècle, qui l'égalent en sa singulière qualité ? De mon point de vue, non !

Si j'écris ces lignes en ce soir de spleen (et dans l'espoir que le "Déjanté" fera paraître ma prose sur son site)(1), mon propos s'inscrit dans un double but. Réfléchir sur le sens des écrits de CAMUS : lorsque l'on procède à un retour sur son passé, il me semble que seuls émergent des souvenirs émouvants, tristes ou amusants ; qui nous réjouissent ou nous émeuvent. N'est-ce pas la raison d'être du "SALMIGONDIS" ? En outre, Bernard m'a demandé un texte sur les derniers mois de notre Algérie, tout particulièrement dans l'oranais.

CAMUS précise bien l'instant subtil (donc douloureux) où l'homme balaye ce qui a été sa vie. Qui, de nous, peut affirmer qu'il conserve une mémoire intacte des événements qu'il a connus ? Psychologiquement (et philosophiquement) impossible ! Parce que nous avons vécu - que dis-je, subi -, au début des années soixante, des faits dramatiques qui nous ont perturbés. N'oublions pas que, pour la plupart, nous avions moins de vingt ans.

Ce récit d'un breton-sicilien pied-noir (ouf !) chez les Harkis (et qu'il me reste à composer) concernera, tout particulièrement, l'agonie oranaise des 5 et 6 juillet 1962. II pourra être contesté par certains : je ne suis pas infaillible.

Mais, le plus honnêtement possible, je l'écrirai grâce aux bribes qui hantent encore mes souvenirs, quarante ans après.

À la différence de l'observateur, l'acteur s'investit, interprète, peut oublier une réplique, un geste (ce fameux "trou" de mémoire), mais arrive à raccrocher la scène dont il s'est imprégné du sens. Dans le cas d'Oran, il convient de parler de traumatisme.:.

Si vous le permettez, sans pédanterie aucune, je retranscris les deux dernières phrases de CAMUS dans l'essai mentionné ci-avant.

« La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir le cœur de l'homme. II faut imaginer Sisyphe heureux ».

Dans les prochains jours, je tâcherai, arc-bouté sur mes bécanes, les mains et joues salies par les encres d'imprimantes, de retracer ce que je n'ai pas oublié.

Si vous voulez m'aider (moralement), imaginez-moi heureux ...

EN GUISE D'INTRODUCTION

Cinq fois sur le métier j'ai remis mon ouvrage.

Tantôt trop long, tantôt trop court... Ces premières tentatives ne m'ont procuré aucune satisfaction.

Je me suis donc fixé un but : dix pages dactylographiées au format A4. Point ! Et s'il y en a douze, vous n'irez pas m'en faire un plat, du moins je l'espère, puisque je conte une partie de ma vie.

---==oOo==---

À Alger, certains des enfants du Cadix et des Tournants Rovigo, pour cause de communion solennelle, ont fréquenté l'Église de notre berbère, le fils de la Sainte-Monique qu'elle réussit à convertir à sa foi : Saint Augustin. Vous connaissez sa jeunesse houleuse, comparable, parfois, à la nôtre.


Nous avons mis en pratique sa maxime :

" La mesure de l'amour est d'aimer sans mesure "

Trop !

Nous avons trop aimé notre Algérie.

Peu de gens, en France continentale, ont compris cet amour absolu frisant (pour eux) une absurdité incompréhensible. Lorsqu'ils n'étaient pas indifférents, le reste des " patos" nous a vilipendés, calomniés, voués aux gémonies. À leurs yeux, nous n'étions que des excités et des activistes qui ne récoltaient que le juste prix de la fameuse sueur qui dégoulinait des burnous. Bien que n'y ayant jamais mis les pieds, j'imagine ces maîtres en morale transpirant frileusement dans les caves jazzies de Saint-Germam-des-Prés, où les nuits devaient être chaudes. Inutile de citer des noms : chacun les connaît.

Oui ! Nous avons trop aimé l'Algérie.

De fait, nous confondions, en cet amour, notre pays et la France d'Europe. C'est à cause de l'incompréhension de cette dernière que certains d'entre-nous (qui étions hédonistes, il faut en convenir) devinrent furieux, car trahis, révoltés et s'engagèrent dans des actions parfois insensées.

Nous étions, paraît-il, racistes. Vous connaissez des juifs qui regrettent leurs amitiés avec les chrétiens et les musulmans ? Citez-moi des cathos qui se mordent les doigts d'avoir eu des copains ... Ah ! J'allais oublier les athées. Continuez à ma place pour la suite.

Les gnons échangés entre nous (ceux de Dordor, puis de Bugeaud), ces amitiés particulières (au sens viril du terme), cette vie de quartier et de solidarité, je ne les ai point retrouvés en Normandie. Où j'ai vécu, arithmétiquement parlant, deux fois plus longtemps qu'en Algérie.

Comme mon intention n'est pas de vous enquiquiner avec des citations littéraires, permettez-m'en une dernière.

SÉNÈQUE le Philosophe (dit aussi le Tragique), qui vécut à l'époque de notre Christ, écrivit :

" Ce n 'est pas parce que les choses sont diffciles que nous n 'osons pas : c'est parce que nous n 'osons pas qu 'elles ont difficiles ".

Houari BOUMEDTENE, excellent connaisseur des écrits de SENEQUE (mais qu'il lisait de droite à gauche) commit, forcément, un contresens. Au titre de la symbolique constructiviste socialisante de la nouvelle Algérie Démocratique et Populaire, l'un de ses premiers actes marquants fut, à l'aide d'un bulldozer, de mettre à bas ...l'Eglise Saint-Augustin.

Est-il besoin d'un commentaire ?

Oui, sans doute. Depuis quelques années, certains, qui voulaient leur indépendance, entrés en France clandestinement, jouent à occuper nos Églises, et non les Mosquées construites sur le sol français.

A suivre Partie 2



 
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