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LE SAHARA, FAR WEST FRANÇAIS
106-107 – SCIENCE & VIES
- SPÉCIAL GUERRE D’ALGÉRIE
Recueilli par Michel Martin
Le Temouchentois

 

RÉVÉLATION

ARGENT CONTRE GAZ

LA FRANCE A-ELLE PAYÉ LE FLN ?

PAUL DELOUVRIER [1914-1995]

De formation Sciences-Pô, reçu à l'inspection des finances en 1941, Delouvrier est un modèle de haut fonctionnaire et de technocrate. Il fait partie de l'en­tourage de Jean Monnet lors de la mise en place du premier plan (1946), puis devient directeur financier de la Haute Autorité de la CECA à Luxembourg. En décembre 1958, De Gaulle le nomme délégué géné­ral du gouvernement en Algérie, particulièrement chargé du plan de Constantine. À son retour d'Algérie (1960), il est nommé délégué général au District de la région parisienne : il est, à ce titre, le père des villes nouvelles, du RER et de la division de la région parisienne en huit départements. En 1966, il devient le premier préfet de la région. Il passe ensuite à la présidence du conseil d'administration d'EDF (où il se montre partisan du tout nucléaire), puis à celle de l'Établissement public du parc de la Villette. Il prend sa retraite en 1984. •

Paul Delouvrier
délégué général du gouvernement
en Algérie, à l’Elysée le 9 mars 1960

 « Le gaz est sorti parce que je me suis entendu pour que jamais les fellaghas ne le touchent. Et les compagnies ont arrosé suffisamment, et elles arro­saient les gens qui, après, allaient acheter des armes pour tuer les Français. »

« Le 10 novembre 1983, alors que je préparais une maîtrise d'histoire, j'eus un long entretien avec Paul Delouvrier, à l'époque président de la Cité de la musique à La Villette. Ce n'est pas à ce titre que je le rencontrai mais pour évoquer avec lui les années les plus douloureuses, mais peut-être les plus exaltantes, de sa carrière, celles de la guerre d'Algérie. Mon sujet était précisément le plan de Constantine. Pourquoi un personnage de l'envergure de Delouvrier recevait-il un modeste étudiant? Était-ce l'effet de la recommandation de mon directeur, Jean Bouvier, l'un des plus grands historiens de l'économie? Peut-être. Mais pourquoi m'a-t-il livré cette bien étrange et bien embarrassante confidence? Besoin de parler, de dire ce qui gêne? Peut-être. En tout cas, je ne pouvais être  l’objet d’une quelconque visée politique pour un  Delouvrier, par ailleurs en fin de carrière. De plus, ce qu'il révèle ne le met pas précisément à son avantage. En tout état de cause, je ne vois pas de raison, aujourd'hui encore, de récuser son témoignage.

De cette confidence, je lis mention une première fois en 1986 dans un article publié par la Revue historique.

Cette révélation n'a, alors, suscité aucun commentaire. J'ai à nouveau évoqué cette question, au cours des débats du grand colloque « La guerre d'Algérie et les Français » (1), qui s'est tenu à Paris, en décembre 1988, où l'archiviste d'une importante société pétrolière présentait une communication, sans soulever plus de réaction.

Quelques années plus tard, je questionnai sur ce point Roger Goetze (2), président de 1946 à 1966 de la SN-Repal, société publique, qui, avec la Compagnie française des pétroles, fut le découvreur et le maître d'œuvre de l'extraction et de l'évacuation du pétrole de Hassi Messaoud et du gaz de Hassi R'Mel. Celui-ci apporta un démenti indigné à cette assertion.

Comment expliquer cette contradiction entre les témoignages de deux des acteurs principaux de cette affaire, Paul Delouvrier et Roger Goetze ? On ne voit pas ce que l'un ou l'autre aurait gagné à travestir la vérité. Une hypothèse peut être avancée : Roger Goetze aurait-il été laissé dans l'ignorance de cet arrangement, bien que concerné au premier chef comme président de la SN-Repal? Supposition moins fantaisiste qu'il n'y paraît. En effet, Roger Goetze admet, dans un long témoignage livré sur sa carrière de haut fonctionnaire, que membre du cabinet de De Gaulle en 1958, sa mission se cantonnait au strict domaine financier et qu'il n'avait pas voix au chapitre sur le dossier algérien (3). Ensuite, redevenu simple sous-gouverneur du Crédit foncier, il est évident qu'il ne bénéficiait pas plus des confidences du Général.

Cependant, trop de zones d'ombre obscurcissent encore cet épisode mal connu de la guerre d'Algérie, et on se plaît à espérer que les archives ou même de nouveaux témoignages livreront bientôt les clés de cette bien ténébreuse affaire. » •

DANIEL LEFEUVRE,
professeur d'histoire
à paris
VIII

(1) La Guerre d'Algérie et les Français, sous la direction de Jean-Pierre Rioux, Fayard, 1990

(2) À l'occasion du colloque organisé par le Comité d'histoire éco­nomique et financière de la France,
« La direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante », Imprimerie nationale, 1998.

(3) Nathalie Carré de Malberg, Entretiens avec Roger Goetze, haut fonctionnaire des Finances, 1937-1958, CHEEF, Imprimerie nationale, 1997, p.334-335.

Paul DELOUVRIER  Parle :

« Je peux vous dire une autre chose. Quand je suis parti, que j'ai accepté donc de remplacer Salan (1), le général De Gaulle me dit: "Vous allez réfléchir, il faut aller très vite, mais faut que vous ayez quelque chose dans votre bissac." je me suis dit: qu'est-ce que je vais prendre dans le bissac ? J'ai été au [ministère du] Plan voir les gens qui travaillaient ça, qui ont le dossier, parler avec quelques personnes, j'ai feuilleté quelques dossiers, bon, je n'ai pas été long à trouver ce qu'il fallait. La première chose, du moment qu'il y a un plan de Constantine, il faut que la France me promette de mettre un peu d'argent là-dedans, sans ça, ça n'existera pas. Donc j'ai demandé un milliard de francs lourds par an. Et deuxième et dernière demande que j'ai adressée au général De Gaulle -comme je n'en ai adressé que deux, j'ai eu satisfaction sur les deux - sortir le gaz du Sahara et l'amener à la côte. Je me suis heurté à une opposition féroce. Des entreprises nationales qui avaient trouvé du pétrole [et] qui ne voulaient pas que le gaz sorte, parce qu'elles se disaient: le gaz va sortir à un prix qu'on va nous obliger à faire bas. Ça va être le prix de référence pour la métropole quand on franchira la Méditerranée, alors ne sortons pas le gaz maintenant. Il n'y en a pas tellement besoin en France, il y a Lacq (2) etc. Et la sortie du gaz, je l'ai obtenue... Pourquoi est-ce que le gaz n'a pas été transpercé ? Les tuyaux, c'était facile, avec les fellaghas... Eh bien, simplement, parce que je me suis entendu avec Tunis (3). Le cirque, le fameux cirque (4) déroulait le machin grâce à Bouakouir qui m'a servi d'intermédiaire et qui ne voulait pas qu'on sorte le gaz lui aussi, parce qu'il avait la trouille qu'on fasse un prix trop élevé pour le gaz, que cette richesse algérienne soit sacrifiée avant l'arrivée - bien qu'il fût français d'esprit —, avant l'arrivée de ce qu'il estimait être inéluctable et qu'il n'osait pas dire. Bouakouir s'est suspendu à moi pour qu'on ne sorte pas le gaz. Et le gaz est sorti parce que je me suis entendu pour que jamais les fellaghas ne le touchent. Et les compagnies ont arrosé suffisamment, et elles arrosaient les gens qui, après, allaient acheter des armes pour tuer les Français. »

 Extrait continu, d'une durée de 3 minutes, sur les 90 minutes que compte l'in­terview.

1)  Le 19 décembre 1958, le général Salan quitte ses fonctions de délégué général du gouverne­ment en Algérie. C'est en réalité un limogeage déguisé opéré par De Gaulle. Paul Delouvrier est appelé à sa place.

2)  Le gaz de Lacq, en Aqui­taine, est découvert en 1951 et mis en exploitation le 8 avril 1957.

3)  C'est à Tunis que siège le GPRA, le gouvernement provi­soire de la République algérienne, proclamé le 19 septembre 1958.

4)  Selon Daniel Lefeuvre, le « cirque » désigne le chantier gazier et pétrolier saharien.


LE POINT DE VUE DE LA REDACTION
 

Un scandale majeur ?

Salah Bouakouir est un des deux polytechniciens musulmans de l'époque et le seul directeur de service musulman au gouvernement général (GG) de l'Algérie. Le GG regroupe à Alger les services administratifs du représentant de la France en Algérie. Celui-ci a pris différents noms : gouverneur général, ministre résident...

Cette révélation de Daniel Lefeuvre contredit totalement les dénégations de Redha Malek, négociateur du FLN à Évian, recueillies par Ghania Moufok, notre correspondante à Alger. Le FLN serait théoriquement le mieux placé pour dire la vérité sur cette affaire. Mais la période récente - marquée par une résurgence de propagande antifrançaise en Algérie -n'est guère propice à la révélation d'un accord avec l'ennemi intervenu au pire moment de la guerre, quand le plan Challe lamine les katibas de l'ALN.

Côté français, Salah Bouakouir (ZOOM], l'entremetteur, est mort par noyade en septembre 1961. Restent les archives de Total-Elf...

Une certitude, le FLN pouvait saboter sans difficulté l'oléoduc et le gazoduc, tous deux longs de plus de 600 km. Paul Delouvrier le dit lui-même. Autre certitude: aucun attentat majeur n'a eu lieu contre les pipelines. Alors même que le 24 août 1958, le FLN avait démontré son savoir-faire en plastiquant le dépôt pétrolier de Marseille-Mourepiane, qui brûla pendant dix jours. Peut-on faire valoir que le FLN, sûr de l'indépendance, ne tenait pas à abîmer des installations qui lui reviendraient bientôt? Douteux: en 1959 (la date probable de l'arrangement financier), la messe n'est pas encore dite et couper des tubes ne touche pas à l'essentiel, les puits eux-mêmes. Alors, l'explication la plus simple reste celle que donne Paul Delouvrier: la France a payé par l'intermédiaire de ses compagnies pétrolières. Une question parmi bien d'autres: comment Paul Delouvrier peut-il accepter un accord aussi immoral ? Car, enfin, donner au FLN de l’argent (on aimerait connaître la somme) pour acheter des armes qui vont tuer des soldats français, c’est dur à avaler. Sauf si Paul Delouvrier a jugé que ce mal éviterait un mal plus grand encore, que ces morts français épargneraient au total plus de vies françaises (et algériennes). Sans doute cet homme de cœur a-t-il jugé ainsi.

La France joue en effet avec le plan de Constantine une autre issue pour l'Algérie. Par exemple, l'énorme usine AZOTAL, à Arzew, doit produire, sur la base des phosphates du djebel Onk et du gaz saharien, des masses d'engrais à bas prix. Lesquels doivent pousser la production agricole des masses musulmanes hors de l'autosubsistance. Plus largement, industrialiser le pays en cinq ans, faire surgir des logements modernes pour un million de personnes (pari en passe d'être tenu en 1962), cela va dans le sens d'un changement social: plus d'ouvriers et de cadres, moins de paysans ; d'un changement de mentalité: demande de scolarisation et de consommation. Bref, il s'agit de faire palper aux musulmans l'avantage de rester français.

Tout cela devant, in fine, saper le socle social du FLN et faire surgir les hommes et les femmes de cette « troisième force » tant recherchée par De Gaulle. Voilà, peut-être, pourquoi Delouvrier est prêt à payer l'ennemi dans le court terme : pour mieux le battre à moyen terme. Sauf que l'Histoire ne lui en a pas laissé le temps. Reste l'éternel débat de la raison d'État face à la morale de l'individu. Reste la douleur de ceux qui ont perdu un des leurs en Algérie en se disant que, peut-être, la balle a été payée par le contribuable français. •

JEAN LOPEZ,
JOURNALISTE

 

TÉMOIN : Redha  Malek

« Le Sahara a couté un an de guerre supplementaire »

Le dossier du Sahara a-t-il été le plus difficile à négocier à Évian ?

Absolument ! On peut dire que l'affaire du Sahara nous a coûté un an de guerre supplémentaire. Dès les premiers contacts secrets en 1961, nous avons compris que le véritable désaccord, ce serait l'avenir du Sahara. Pour les Français, le Sahara était une création française. Lorsque les Algériens ont demandé: « Vous parlez d'indépendance mais sur quel territoire? » Georges Pompidou a répondu « l'Algérie du Nord », et plus précisément « l'Algérie du Maghreb ». Quand les Algériens ont rappelé que les cartes de l'Algérie incluaient le Sahara, il a dit : « Vous voulez que la France vous fasse un cadeau? »

La souveraineté algérienne sur le Sahara n'est reconnue que lorsque De Gaulle déclare en septembre 1961 : « II ne saurait y avoir d'ambiguïté au sujet de la souveraineté du Sahara, dès lors qu'une coopération franco-algérienne serait conclue. »
Exactement. Après cette déclaration, Ben Yahia et moi-même avons été envoyés à Baie pour obtenir confirmation. Là, nous avons compris qu'une entente était possible. Lors de la rencontre suivante aux Rousses, nous sommes arrivés à un accord général sur l'affaire du Sahara. Nous avons établi une carte qui reprenait les frontières du 1er novembre 1954.

Les intérêts français sont pétroliers, mais aussi militaires. Louis Joxe a déclaré: « Pour des raisons de sécurité, la France veut garder certaines bases. » Leur maintien a-t-il été posé comme condition à la poursuite des négociations ?

Tout à fait. Cela a été déterminant pour régler le problème en Algérie. Sinon, pour De Gaulle, c'était la rupture. Il avait fait d'énormes investissements, c'était aussi une question de prestige personnel, il ne fallait pas jouer avec ça. On a dit: « OK, vous avez investi, vous avez commencé à faire des expériences, faites vos expériences, nous allons fermer les yeux. » II y avait les bases de Colomb-Béchar où avaient lieu des essais spéciaux qui ont préparé le lancement d'Ariane, et puis, évidemment, il y avait le polygone d'essais nucléaires de Reggane qui allait permettre à la France d'avoir sa propre bombe nucléaire.

Le FLN avait-il connaissance de la nature de ces expériences ?

Aucun membre du FLN n'est allé sur place. On savait ce qui s'y passait par la presse qui en parlait beaucoup à l'époque, mais on ne connaissait pas le détail de ces expériences. Même en France, c'était secret défense.

Que pensez-vous de la thèse qui affirme que la base de B2 Namous a continué à fonctionner jusque dans les années 80 ?

B2 Namous n'a rien à voir avec les accords d'Évian. Ces expériences ont été faites bien après l'Indépendance. C'était, je crois, un accord secret portant sur certains gaz. Le président Boumediene pensait que cela pouvait profiter à l'Algérie, il s'agissait d'une coopération militaire ponctuelle.

Mais vous, les négociateurs algériens, deviez débattre de ce maintien des bases nucléaires françaises. N'y avait-il pas contradiction avec la vocation révolutionnaire du FLN ?

Aucunement! Nous avions une stratégie. Pas de marchandage pour tout ce qui était essentiel: l'intégrité du territoire, l'unité du peuple, l'indépendance totale. À partir du moment où les Français étaient d'accord là-dessus, tout le reste était négociable, et c'est ce que nous avons fait pour les bases. Nous avons conclu un accord, et le général De Gaulle a été encore une fois très réaliste. Mais même si nous avions voulu aller voir ce qui se passait dans ces bases nucléaires, nous n'en avions pas les moyens.

Certains historiens soutiennent qu'en pleine guerre, la France aurait versé au FLN des royalties gagnés grâce au pétrole algérien. Qu'en pensez-vous ?

C'est ridicule ! Nous étions en guerre, nous ne nous serrions même pas la main. Joxe n'a serré la main de Krim qu'après les accords d'Évian. Tout ça, c'est du bla-bla. Ils voulaient garder le Sahara, ils voulaient tout garder, de là à nous donner des royalties. .. Pour les Français, cela a été très dur de renoncer à cette région. Plus tard, j'ai demandé à un négociateur: « Quand on a signé, comment vous sentiez-vous ? » II m'a répondu: « On ne fête pas Waterloo. » •

PROPOS RECUEILLIS PAR
CHANIA MOUFOK,

 


 
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