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LE DERNIER JOUR DE L’ALGÉRIE FRANCAISE
De Gérard Israël
Editions Robert LAFFONT

ANNEXE no 4

INTERVIEW DE M. LE COLONEL HERVÉ DE BLIGNIÈRES,
PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION POUR LA SAUVEGARDE
DES FAMILLES
ET ENFANTS DE DISPARUS

Q. A combien peut-on estimer le nombre des disparus européens en Algérie durant l'année 1962?

R. Entre le 19 mars, date du cessez-le-feu, et le 31 décembre 1962, un minimum de 6 000 à
6 500 Européens ont disparu. C'est « Le Figaro » qui lançait ce chiffre dans son numéro du 12 novembre 1964. M. Jean de Broglie, secrétaire d'Etat aux affaires algériennes, contestait cette évaluation au cours d'une intervention à la tribune du Sénat. Il estimait que seulement
3 018
personnes civiles avaient disparu et que 1 245 d'entre elles ont été retrouvées ou ont été libérées.

Mais en 1965, l'association de défense des droits des Français d'Algérie annonçait qu'elle disposait d'un fichier de 2 500 noms tenus à jour en relation avec les familles. Il faut ajouter à ce chiffre les 450 militaires français qui étaient encore prisonniers après le cessez-le-feu et qui n'ont jamais été rendus ainsi que les 35 soldats du contingent disparus après le cessez-le-feu.

Q. Cela représenterait un total de 3000.

R. Oui, mais il s'agit là du résultat d'une enquête menée par une association privée, sans aucun moyen véritable et sans possibilité d'intervenir auprès du gouvernement algérien. J'estime qu'une enquête sérieuse au niveau gouvernemental tenant compte de toutes les données en notre possession permettrait facilement d'établir le chiffre minimum de 6500.

Q. Qu'a fait à l'époque le gouvernement français pour essayer de retrouver ces malheureux?

R. Pas grand-chose. Du 19 mars au 3 juillet, la France exerçait son autorité en Algérie, le gouvernement aurait pu confier à la gendarmerie mobile le soin de mener les enquêtes. Mais les forces de l’ordre avaient, à l'époque, autre chose à faire...

Après l'indépendance de l'Algérie, le gouvernement a fait, sans succès, quelques démarches verbales. En réalité, il a confié l'affaire à la Croix-Rouge internationale.

Dans la plupart des cas, la conclusion des enquêteurs du comité international de la Croix-Rouge a été négative. Rien n'autorisant à conclure au décès ou à l'emprisonnement des malheureux.

Depuis le 27 août 1964, les hypothétiques interventions françaises sont devenues plus difficiles. En effet, aux termes d'une convention, les deux gouvernements se sont engagés à ne pas extrader les personnes accusées d'avoir commis un crime en rapport avec les questions politiques. Depuis lors, pour le gouvernement l'affaire est classée bien que juridiquement rien n'empêche la France de continuer à s'intéresser à la question et d'entreprendre les démarches pour être fixée sur le sort des disparus même si les coupables des enlèvements ne peuvent plus être extradés.

Q. Pensez-vous qu'il y ait encore en Algérie des personnes rete­nues contre leur gré depuis 1962?

R. La question est délicate. Nous voudrions éviter de donner de faux espoirs aux familles. Nous avons cependant des preuves sérieuses : par exemple l'existence d'un camp d'internement dans le Sud algérien et ailleurs. Nous avons le témoignage de personnes qui se sont évadées d'Algérie en 1963 et 1964 ou même en 1968 et 1969.

Q. Pouvez-vous citer un exemple?

R. En août 1963 un homme parvenait à s'échapper après dix mois d'internement. Il était prisonnier de l'Armée Nationale Populaire. Il était enfermé dans les caves d'une ferme abandonnée de la région d'Orléansville. Chaque jour, il pouvait apercevoir des détenus européens au nombre d'une centaine dont quelques femmes.

En mai 1964, un autre homme réussit à gagner la France. Depuis la date de son arrestation, c'est-à-dire en mai 1962, jusqu'à celle de son évasion, il a été traîné de camps de fortune en prisons clandestines. Il a souvent été en contact avec d'autres Européens disparus depuis 1962. Il a réussi à identifier sept de ces malheureux. L'un d'entre eux avait fait l'objet d'un avis portant jugement déclaratif de décès transmis par le secrétariat d'Etat aux affaires algériennes à sa famille...

Q. Quel intérêt les Algériens ont-ils à garder aujourd'hui sur leur territoire des personnes enlevées en 1962?

R. Il me paraît bien difficile de donner une réponse claire, tant les enlèvements ont été au départ d'origine diverse selon le climat politique local, selon les intérêts immédiatement en cause, selon les mobiles passionnels de leurs auteurs. Certains ont pu croire au début et dans une ambiance trouble à la valeur d'otages...

Progressivement, les survivants au désordre initial se sont transformés en main-d'œuvre gratuite.

Enfin, il est probable que longtemps le pouvoir central algérien a été dans l'incapacité d'agir partout efficacement face à des féodalités locales issues de la révolution. Peut-être attend-on que le problème disparaisse naturellement.

Ce n'est pas notre conception des choses. Nous continuerons notre action au nom de la justice et des droits de la personne humaine.

HERVÉ DE BLIGNIÈRES



 
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